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Rugby-champagne

Au moment de la Coupe du monde de 2023, Laf s’est passionné pour le rugby, en bon enfant du Sud-Ouest. Malheureusement, il n’en comprend pas bien les règles !

Avec le bandeau rouge d'Herrero (A. Boyer-Labrouche)

Laf est un Toulousain, boudu. Il aime ce sport de contact, loyal et viril. D’ailleurs, Fabien, l’homme aux lunettes-hublots a dit dans les vestiaires à son équipe : « vous êtes des chiens », et ce deux fois. Laf réfléchit. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ce ne sont pas des hommes qui jouent ? Laf ne voit pas de chien sur le terrain. Du gazon, idéal pour lever la patte, et des hommes qui s’encastrent dans la mêlée, s’attrapent dans les plaquages, se déplacent en crabe dans les mauls ou les rucks, et se caressent. Il voit des oreilles grignotées, des corps puissants et luisants de sueur, des entailles saignantes, des coups aux zygomatiques. Il y a des règles au rugby. Laf essaie de les comprendre et ce n’est pas simple.


Laf joue avec son protège-dents. Il l’a vu faire. Je cours et quand j’ai fini l’action, je te crache le dentier. La salive goutte et je le renfourne. Il faut m’empêcher de le bouffer, surtout si j’attrape celui qui vient de tomber.


J’ai Gilbert dans les pattes avant. Il est comme un bébé, ce ballon. Je le berce dans le creux de mon coude, mon baby ballon. J’ai de la chance, le rugby se joue avec les mains et les pieds. Je peux utiliser mes quatre pattes, mais pas en même temps. Je m’adapte comme les pumas, les sprinboks, les walabies, les loups et les aigles de mer qui jouent avec ou contre moi. C’est un sport mondial, sous forme de coupe. On m’a dit que les joueurs étaient mélangés dans les équipes et ils ne savent plus où ils habitent. Tu joues au Stade Toulousain et là, tu te retrouves à jouer contre tes coéquipiers qui sont dans l’équipe adverse. Ils te connaissent bien. Cela a valu à Thomas, arrière dans notre cher Stade, au coup de pied remarquable, une grande frayeur. Ayant des routines pour la frappe des pénalités, il avance une jambe avant sa course d’élan, puis marque un temps avant de courir pour frapper le Gilbert. Son adversaire, coéquipier par ailleurs, qui le connaît comme sa poche, prend son élan quand le pied de Thomas bouge et court comme un frelon dératé. À quelques mètres du ballon ovale projeté, il l’intercepte et stoppe son envol au début de sa trajectoire. Pauvre Thomas, il n’avait jamais vécu un truc pareil ! Le stade entier est saisi, lui qui était en train de crier « Qui ne saute pas n’est pas… ». Stupeur et tremblements. C’est légal, ça ? Il est là, le point qui manque ?


Le rugby a des règles auxquelles je ne comprends pas encore tout. Le personnage au T-shirt jaune, steward chez Emirates « Fly better », est appelé arbitre. Il est toujours là, autour des joueurs, à les piquer comme un Patou. Il siffle, parle et fait des gestes qui en disent long, quand on connaît leur signification. J’ai vu le bras cassé, les bras croisés, le carton jaune et le rouge. Il y a une kyrielle d’autres stewards derrière des écrans qui observent tout et confirment si le gars puni après un carton jaune est bien puni. L’équipe perd un des leurs pendant 10 minutes. Mais il paraît qu’on peut se débrouiller autrement. Il faut dire qu’on doit mettre en place une procédure commotion. La World Rugby prend soin des joueurs. Le commotionné sort du match pour être examiné, mais est remplacé. Il faut savoir compter dans ce jeu des chaises musicales, mais si t’es malin, tu peux faire ton match avec l’orchestre entier. La commotion est la conséquence d’un choc à la tête. Il est interdit de jouer au-dessus des épaules, c’est ce que j’ai cru comprendre. Tu dois toujours te tenir droit, le regard devant toi. Le steward scrute les appuis des joueurs. Toujours sur ses pattes arrières. Dans la dernière mêlée, à quelques minutes du match des Boks contre les Roses, un des avants roses a fléchi le genou, juste avant que les Boks partent en crabe. Pénalité ! Et je gagne la finale d’un point ! Trop tard pour marquer un dernier essai. Il n’est cependant pas étonnant que les antilopes sauteuses croquent les roses.


On doit donc plaquer en dessous des épaules et pas claquer sa tête sur le visage de l’adversaire. C’est ce qui est arrivé à notre champion toulousain. Le pauvre, ça a fait crac. Il a une fracture maxillo-zygomatique. Il a été très bien soigné à l’hôpital Purpan, opéré de sa fracture, mais c’est encore très fragile. Il n’y a pas de remplaçant, Fabien, ouh, ouh ? C’est un jeu d’équipe, non. On m’a assez répété que nul n’est indispensable.


Donc, j’ai compris que quand je cours avec le ballon ovale, je ne peux être plaqué qu’en bas du corps. Je tombe et je dois lâcher le ballon. J’ai compris que le jeu consiste à avancer vers l’en-but, à gagner du terrain, en étant sans cesse arrêté. Il te faut faire les passes à des joueurs qui sont derrière toi. La foule dans les tribunes chante. On comprend qu’il y a des Toulousains et des La goffa Lolita. Ô Toulouse. Francis Cabrel est tellement nostalgique, il reprendrait bien un morceau de Sicre. Jeune homme, il aurait tellement aimé venir à Toulouse. S’il voyait Toulouse aujourd’hui ! Nous avons même un téléphérique et des travaux partout, et des silos de béton, et des pistes cyclables à double sens. Je me suis perdu et me suis retrouvé dans un cybercafé. Qu’esaquo ? Un artiste est mieux à la campagne dans une petite ville tranquille. On ne tue plus le cochon tout de même. Pas si sûr. Il y a encore plein de gens, plutôt âgés, qui font des kilos de conserves de haricots verts, de tomates et des pâtés et des saucisses sèches de cochon. La fin d’une époque ou le début de la décroissance ?


Allez faire un tour à Astaffort, s’il vous plaît. Et écoutez Claude Nougaro :

« Ô mon païs, ô Toulouse, ô Toulouse,

Ici, même les mémés aiment la castagne. »


Ben, on n’est pas champion du monde. On n’aura pas le trophée. Antoine pleure et a mal à la mâchoire maintenant qu’il n’est plus inondé par l’adrénaline. Quand j’étais Crabos et interne en sport-études au lycée Jolimont, j’apprenais le rugby. Mais, j’ai été vite blessé. C’était avant qu’on prenne soin des joueurs avec des protocoles.


Bon, je regarde le Haka, Ka Mate ou Kapa O Pongo ? Peu importe, j’aime trop cette danse guerrière. Les hommes se placent en position d’oies qui font leurs migrations, en escadron. Pas les oies du Jardin des Plantes. Elles sont pépères. Il y a deux garçons, Jean-Michel et Le Glouton et trois filles qui sont nourries d’endives. Pas prêtes de migrer, ces oies. Tu vois où mène la domestication. Au centre du Haka, un guerrier avec une pagaie. Ouh, ils font peur. Certains pèsent près de 150 kilos. Ils sont bien sur leurs appuis, ils fléchissent les jambes et se frappent les bras en rythme en gueulant. Puis, l’un sort la langue. En tout cas, c’est beau. Ils expriment leur fierté et leur force. Les Tongas ont le Sipi Tau, les Samoas le Siva Tau, les Fidjis le Cibi. Et Antoine, il a Ô Toulouse. Le rugby, c’est la guerre et les caresses, la virilité et la tendresse. Je chante le Cibi :

« Oh oh oh Prépare-toi, Regarde par ici, Je te construis une muraille. »


Au sifflet, le match commence. Ils attaquent : « Je n’ai pas le droit de m’assoupir », discutent le coq et la poule. Beaucoup de poules dans le rugby. Ça caquette dans les tribunes, ça glousse. Et cet homme-coq, en ouverture de la coupe du Monde, où l’ont-ils trouvé ?


Ah là là, je m’assoupis sur mon siège. Que m’arrive-t-il ? Je suis le ballon ovale Gilbert ! L’action d’une mauvaise fée ou je rêve. Je suis dans le creux du bras d’un homme. Il court et fait une biscouette pour tromper l’adversaire. Ça remue comme dans un avion. Puis, une chistera avec la main dans le dos. C’est comme un trou d’air. Je suis bien dans un vol Emirates. Bonté canine, l’homme est plaqué. Je suis brutalement lâché sur le sol mouillé. On lui a collé un timbre, il doit lâcher le ballon, c’est-à-dire moi. Il a fait une passe de maçon, le bougre ! Que va-t-il m’arriver ? Les gros font un ruck ; je sens leurs pieds qui me bousculent dans tous les sens. Hum, je suis gratté par un gratteur qui conteste le ballon. J’émerge enfin. Je ne sais plus où j’habite. Je suis lancé en l’air et rattrapé par un joueur soulevé par son maillot. Je suis frappé par un pied qui droppe. Je suis bercé, le rêve, par de multiples bras qui me lancent sûrement et j’atterris au creux de leurs bras. Jusqu’à ce que je sois écrasé par le poids d’un homme. Aplati. Essai. Rugby-champagne.


Et ça recommence, après les hourras de la foule en liesse. La goffa Lolita. La Marseillaise. Pour moi, tout ça ? Seulement, les mouches ont changé d’âne, la situation se retourne. La boîte à gifles est ouverte. Il y a du grabuge. Il y en a qui font plus de 140 kilos et quand ils plaquent la tête, ils ont un carton jaune ou rouge. Ils sont punis par l’arbitre qui est toujours là à scruter ce qui se passe. Le jeu doit être fluide et les joueurs protégés des coups. Il y a même des porteurs d’eau. Où est ma gamelle ? J’oublie que je suis le ballon, mouillé et gluant, secoué mais heureux. Il paraît que c’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses. Je suis à mon aise car ma grand-mère était bergère de brebis. Ce qui veut dire que le score peut évoluer. Voilà, la cabane est tombée sur le chien. Oh, non ! Les commentateurs crient. L’autre équipe vient de creuser l’écart avec la certitude de gagner le match. À un point près ? Mais si l’équipe se ressaisit, le chien n’est pas mort. Le cochon est dans le maïs. On est dans le Sud-Ouest, je vous dis. Les gros ont du cœur à l’ouvrage et le match risque encore de basculer. Oh ! La belle cocotte !


Le sortilège prend fin. Je ne suis plus le ballon ovale William Gilbert confectionné par un cordonnier, parce qu’un étudiant appelé William Webb Ellis a décidé un jour de jouer au football à la maison ?? Ils sont fous, ces humains. Et voilà qu’aujourd’hui le trophée Webb Ellis est remis à des Springboks, Springbokkes en afrikaans ou Amabokobokos en zoulou. L’Afrique du Sud est la Nation arc-en-ciel. Bravo les gazelles et les boucs sauteurs. Les Springs ont brouté les chardons, les chênes, les trèfles, sur les prés verts des stades. Ils sont partout dans les duels, les touches, les mêlées, les ballons portés, les plaquages. Rugby-champagne ! Vous prendrez bien une coupe de champagne Billecart-Salmon rosé ? Maîtresse, tu as vu comment ils me caressent ?


À Pierre Villepreux et Patrick

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